Thème
2 : Classes, stratification et mobilité sociale
Chapitre
4 : Comment rendre compte de la mobilité sociale ?
I-
Comment mesurer la mobilité ?
A-
Quelles mobilités ?
1- La
mobilité géographique
La mobilité géographique est le changement de résidence au moins départemental
durant la carrière professionnelle d’un individu.
35% des
cadres en 2003 avaient changé de région entre la fin de leurs études et leur 1er
emploi contre seulement 8% des ouvriers qualifiés. Les catégories les plus mobiles sont
les catégories favorisées (cadres,
PI, chefs d’entreprises). Cette mobilité peut s’expliquer par des raisons
professionnelles. Les meilleures offres d’emplois se trouvent dans les régions les
plus attractives, les plus dynamiques qui ne sont pas forcément
celles où ils ont fait leurs études. Par ailleurs, leurs longues études
leurs ont permis d’acquérir une ouverture d’esprit qui ne les contraint
pas à rester dans leur département.
2- La
mobilité intragénérationnelle
La mobilité intergénérationnelle mesure la mobilité professionnelle
des individus durant leur carrière, c’est-à-dire les changements de
PCS qu’ils ont pu connaître. Cette mobilité intergénérationnelle est particulièrement
importante en début de carrière où l’individu peut chercher à évoluer
rapidement dans la hiérarchie.
3- La
mobilité intergénérationnelle
La mobilité
intergénérationnelle mesure la mobilité professionnelle des individus entre deux
générations ou plus, c’est-à-dire les changements de PCS qu’il y a pu y avoir
entre un individu et ses parents.
On distingue deux formes de mobilités intergénérationnelles en fonction du
sens de lecture de celle-ci :
-
Destinée : des parents vers les enfants
-
Recrutement / origine : des
enfants vers les parents
Une table de destinée
cherche à savoir ce que sont devenus les enfants des actifs d’hier. Une table
de recrutement
cherche à savoir d’où viennent les actifs d’aujourd’hui.
L’égalité des chances pourrait se mesurer à travers des
destinées proches des enfants d’ouvriers et de cadres.
B-
Les limites des tables de mobilité intergénérationnelle
Plusieurs limites aux tables de
mobilités peuvent être présentées :
-
La mobilité est fonction du nombre de catégories distinguées. Plus il y
aura de catégorie, plus les fils auront de chances d’être mobile par rapport à
leur parents et inversement. La mobilité objective semble difficile à mesurer.
-
La mobilité des femmes est mal mesurée. Les tables Mère/fils/fille ne
sont pour l’heure pas assez pertinentes puisqu’une partie des mères n’a pas
travaillé. La mesure sera mobilité sera essentiellement masculine.
-
La valeur sociale, le prestige associé au métier peut évoluer dans le
temps. Un métier classé dans la catégorie « cadre » peut
perdre de son prestige. C’est comme si un enfant immobile en terme de PCS
chutait dans la hiérarchie de prestige.
-
La mobilité sociale mesure une mobilité passée puisqu’elle
discute d’actif d’au moins 40 ans et de leur parents (càd nos parents, grands-parents).
Elle ne dit rien sur la mobilité actuelle.
è Les tables de mobilités
présentent des limites, elles ne sont pas un outil parfait. Cependant, elles
révèlent des infos pertinentes sur l’évolution de la structure
socio-professionnelle et le degré d’égalité des chances qui existe dans notre
société.
II-
Quelle mobilité sociale en France aujourd’hui ?
A-
Une société marquée
par une forte immobilité…
Sur la diagonale d’une table de destinée se trouvent les
fils qui sont classés dans la même PCS que leurs pères. La mobilité intergénérationnelle est
nulle, on parle d’immobilité sociale, reproduction sociale, hérédité
sociale.
L’immobilité sociale est très importante pour les
extrêmes de la hiérarchie sociale. Pour les autres PCS, l’immobilité est
plus faible mais reste importante puisque 1/3 des fils de PI deviendront PI et
1/5 des fils d’agriculteurs, artisans le deviendront à leur tour. Par
ailleurs, 88% des agriculteurs d’aujourd’hui avaient des parents agriculteurs
(se transmet de génération en génération).
è Au final, 33% des fils
seront immobiles par rapport à leur père toute PCS confondue. L’immobilité est
importante en France aujourd’hui.
B-
…mais aussi par une
mobilité de proximité
La mobilité est généralement ascendante, la position sociale du fils
s’améliore par rapport à celle du père. Elle est aussi descendante, la position
sociale du fils se dégrade par rapport à celle du père.
L’essentiel de la mobilité est une mobilité de proximité (ascendante ou descendante). Les fils
changent de PCS par rapport à leur père d’une seule PCS ou d’une PCS proche.
A l’inverse, passer d’un extrême à l’autre de la hiérarchie est rare. La
mobilité peut être horizontale lorsque le fils change de PCS par rapport à son
père mais que le prestige social associé à cette nouvelle PCS n’augmente pas (ouvrier/employé).
C-
Une société de plus en
plus mobile ?
Il semblerait que de 1977 à 2003,
la mobilité sociale soit un peu plus importante puisque les chiffres de la diagonale
ont eu tendance à diminuer. De moins en moins de fils d’ouvriers deviennent
ouvriers. Les fils d’ouvriers ont 1.5 fois plus de chance de devenir
ouvrier qu’un autre fils en 1977 alors qu’en 2003, ce rapport ne vaut plus que
1.35.
Cependant, cette amélioration est relative. La situation des enfants d’ouvriers
tend à ne pas s’améliorer. De 1993 à 2003, l’immobilité sociale a très peu
diminuée et c’est surtout à la fin des 30 glorieuses que leur position sociale
s’est améliorée (forte baisse de l’immobilité), la mobilité est passée. De
plus, si un individu est enfant d’ouvrier, il a en 2003 4.6 fois plus de chances de
devenir ouvrier plutôt que cadre. Ce chiffre reste très élevé, l’immobilité
sociale reste marquée dans cette catégorie.
è La société française semble
de plus en plus mobile mais l’essentiel de cette mobilité est terminée. La
position des enfants d’ouvriers s’est fortement améliorée mais leur origine
sociale constitue toujours un poids limitant leur progression dans la
hiérarchie.
III-
Quels sont les déterminants de la mobilité sociale ?
A-
Le rôle des structures
économiques : l’évolution des emplois offerts impose une certaine mobilité
sociale
Les enfants d’agriculteurs deviennent
de moins en moins agriculteurs et de plus en plus souvent ouvriers. Mais les
agriculteurs d’aujourd’hui sont majoritairement enfants d’agriculteurs. La mobilité des
agriculteurs est donc largement subie, imposée par les transformations de notre
économie. Les agriculteurs sont plus productifs, moins d’agriculteurs sont
nécessaires à l’heure actuelle. Même s’ils le voulaient, tous les
enfants d’agriculteurs ne pourraient le devenir aujourd’hui.
La mobilité structurelle est la mobilité qui s’explique par les
changements de structure économique que connait un pays. Elle n’est pas
choisie par les individus mais contrainte par l’évolution des emplois offerts
au cours du temps :
-
Le pt dans l’agriculture : de moins en moins d’agriculteurs
sont nécessaires (16% en 1997, 4% en
2003).
-
Le pt dans
l’industrie :
désindustrialisation et de moins en moins d’ouvriers (43% en 1997, 34% en 2003).
-
Tertiarisation de
l’économie :
augmentation des emplois de cadres/PI/employés.
Le développement de l’immigration d’une génération à
l’autre aurait des conséquences sur la mobilité des enfants français en
fonction du profil des immigrés.
S’ils sont moins qualifiés que les Français, ils occuperont des emplois
d’ouvriers/employés obligeant les enfants français à être mobiles et
inversement si les immigrés sont plus qualifiés.
è La mobilité structurelle
traduit une mobilité subie par les individus. La mobilité voulue, choisie
s’appelle fluidité sociale, elle traduit la mobilité qui ne s’explique pas par
les changements de structure mais soit par l’individu lui-même, soit par les
agents permettant son intégration professionnelle.
B-
Le rôle de l’Ecole :
facteur de mobilité et d’immobilité à la fois
1- Le diplôme plus fort que
l’origine sociale
En 2002, environ 82% des diplômés
supérieur long, enfants d’enseignant ou cadre, ont eu accès à une profession
supérieure, 76% pour les enfants d’ouvriers. On en conclue que le diplôme obtenu
par un individu joue un rôle plus important dans sa destinée professionnelle
que son origine sociale. S’il est diplômé, un enfant de catégorie
modeste a quasiment autant de chance de devenir cadre qu’un enfant de catégorie
supérieure.
L’Ecole semble être au cœur de la
mobilité sociale en permettant à tous les enfants de réussir, elle gomme les
inégalités d’origine sociale et limite la reproduction sociale. Elle parvient à
faire progresser les plus modestes en étant obligatoire, la même pour tous et
gratuite. Les diplômes ne sont pas délivrés en fonction du milieu de
naissance d’un individu mais en fonction de son mérite, ses efforts. L’Ecole
française est une école méritocratique.
2- L’Ecole favorise la
reproduction sociale
Pour Bourdieu, l’Ecole est facteur d’immobilité sociale
puisqu’elle transmet un capital culturel plus proche de celui des catégories
favorisées que des catégories populaires. Les thématiques abordées en classe sont plus
familières aux enfants de cadres qu’aux enfants d’ouvriers, ils réussiront
mieux à l’école.
De plus, en s’adressant à tous de la
même manière, l’Ecole renforce ces inégalités et ne permet pas aux enfants de catégories
populaires de rattraper leur retard. L’Ecole n’atteint pas l’objectif
qu’elle se fixe, l’égalité des chances. Elle est donc critiquable.
Par ailleurs, les diplômes délivrés par l’Ecole ne
sont pas utilisés de la même manière par toutes les catégories sociales.
Les enfants
de catégories supérieures pourront profiter plus facilement du capital
social, des relations humaines dont disposent leurs parents pour
faire des études ambitieuses et/ou trouver un bon emploi. Un même diplôme ne
conduira pas aux mêmes emplois selon l’origine sociale.
L’Ecole n’est pas complètement gratuite, reste à la charge des parents les
manuels scolaires, la cantine, les transports, les frais d’inscription…
è On ne peut pas vraiment
parler de démocratisation scolaire aujourd’hui. L’Ecole s’est massifiée (de plus en plus d’enfants vont à l’Ecole et
de plus en plus longtemps) mais l’orientation scolaire reste très
dépendante du milieu d’origine.
3- La peur du déclassement
Le déclassement est la perte de valeur des diplômes au
cours du temps du fait de la massification scolaire. Il faut de plus en
plus de diplômes pour atteindre les mêmes postes qu’avant. Ce
déclassement conduit au paradoxe d’Anderson, c’est-à-dire à la situation où les enfants,
ayant plus de diplômes que leurs parents, occupent des emplois moins valorisés
qu’eux.
Puisque de plus en plus de jeunes sont
diplômés et que le nombre d’emplois qualifiés augmente moins vite, les employeurs
tendent à élever leurs exigences et à recruter des personnes surdiplômées.
Le rendement scolaire d’un diplôme désigne l’efficacité avec laquelle il permet
d’atteindre l’emploi souhaité.
Les emplois d’encadrement ont tendance
à augmenter depuis les années 1980, de plus en plus sont ouverts aux jeunes
après la fin de leurs études. Mais pour atteindre ces postes, il faut être de
plus en plus diplômé. Avec le même diplôme que dans les années 1980, il est
plus difficile aujourd’hui d’occuper ces emplois.
è Le diplôme continue à être
la meilleure protection contre le chômage et la précarité : plus un
individu est diplômé, moins il a de risques d’être au chômage. Cependant, les
diplômes tendent à perdre de leur valeur. Ils continuent à protéger du
déclassement mais de moins en moins fortement. Ce qui pousse les jeunes à
poursuivre leurs études.
C-
Le rôle de la
famille : stratégies familiales et réussites paradoxales
1- Les stratégies familiales
expliquent la persistance des inégalités scolaires et l’immobilité sociale
selon Boudon
Poursuivre ses études donne plusieurs avantages : occuper un emploi valorisé, gagner plus
d’argent, être mieux protégé contre le chômage. Cependant, poursuivre ses
études a aussi des coûts financiers, temporels (ne pas travailler c’est ne pas gagner d’argent).
Pour Boudon, chaque famille va effectuer un calcul
coûts/avantages pour connaître l’opportunité de poursuivre ses études ou non. Pour Boudon, ce calcul coûts/avantages
débouche :
-
Pour les familles populaires, les coûts sont supérieurs aux avantages. Ces
enfants s’orienteront vers des études courtes.
-
Pour les familles favorisées, les avantages seront supérieurs aux coûts,
les enfants s’orienteront vers des études longues.
De plus, Bourdon estime que les motivations à
poursuivre les études sont plus fortes pour les enfants de catégories
supérieures (faire au moins aussi
bien que les parents) que pour les enfants de catégories populaires (plus facile d’atteindre un diplôme égal ou supérieur
à celui des parents puisqu’ils n’en ont pas ou peu).
Le système scolaire français propose
très tôt des orientations, options qui vont démultiplier les écarts entre les
élèves qui choisissent « bien » et ceux qui choisissent
« mal ». Les parents qui eux-mêmes auront fait des études pourront
conseiller tel ou tel choix (latin,
section européenne, bilingue…). Les enfants de milieux favorisés se retrouvent donc
plus souvent dans de bonnes classes, bons établissements, bonnes filières…
Enfin Bourdieu, à travers la notion de
capacité économique montre qu’il sera plus aisé pour les familles favorisées
de payer les poursuites d’études de leurs enfants ce qui leur permet
d’envisager des études longues à l’inverse des milieux défavorisées.
2- Les réussites paradoxales existent
cependant
Un individu peut chercher à quitter son groupe
d’appartenance en adoptant les codes et comportements d’un groupe de référence qu’il
juge supérieurs. Il modifie donc son logement, sa tenue vestimentaire,
adopte une culture favorisée…
Ce processus se nomme socialisation
anticipatrice. Celle-ci pourra lui permettre de progresser dans la hiérarchie en
adoptant petit à petit les comportements que l’Ecole, la société attend de
l’individu. Un enfant de milieu populaire peut donc progresser dans la
hiérarchie : son origine sociale va le pousser à faire des efforts pour en sortir.
è La mobilité sociale en France existe
même si elle reste limitée. Les positions sociales ne sont pas héréditaires.
Plusieurs facteurs à cette mobilité existent : l’évolution des structures
économiques, l’Ecole et la famille. Mais ces deux dernières peuvent aussi être
un poids qui renforce l’immobilité sociale.