samedi 10 juin 2017

Géographie, Japon-Chine : concurrences régionales, ambitions mondiales, TES

Partie 3 : Japon-Chine : concurrences régionales, ambitions mondiales

Le japon et la Chine sont les deux puissances dominantes du continent asiatique. Ces deux pays ont beau être issus d’un espace culturel commun, ils se livrent à une intense rivalité politique, comme le montre le conflit qui les oppose aux îles Senkaku, en mer de Chine. Mais la rivalité de ces deux géants ne se limite pas uniquement à l’espace régional asiatique. Tokyo et Pékin nourrissent également des ambitions mondiales, dans les domaines économiques, politiques et culturels. Comment se manifeste la concurrence régionale entre la Chine et le Japon et quelles sont les ambitions mondiales de ces deux pays ? Après avoir abordé les diverses formes de  concurrence que le Japon et la Chine se livrent  en Asie (I), nous verrons leurs vastes ambitions  mondiales (II). Mais ces pays pâtissent de points faibles communs, sur le plan politique, démographique et économique (III)
I.                     Des puissances concurrentes en Asie de l’Est
A.      Le poids démographique de la Chine en Asie

Le poids démographique de la Chine est énorme : non seulement c'est le  pays le plus peuplé du monde, avec 1.35 milliards d’habitants, mais la diaspora chinoise est importante dans le Sud-est asiatique. Cette communauté, forte de 35 millions d’habitants, facilite les relations économiques entre la Chine et les pays du Sud-est asiatique tels que l’Indonésie, le Viêt-Nam. Il s'agit d'une force démographique sur laquelle les Japonais, très regroupés géographiquement, ne peut pas s'appuyer. Le Japon abrite seulement 127 millions d'habitants qui s'expatrient relativement peu. La diaspora chinoise est donc un atout dans la volonté chinoise de domination politique et économique en Asie du Sud-est.

B.      La Chine et le Japon, 2 adversaires politiques en Asie

L’influence chinoise a été importante en Asie pendant 2000 ans, puis elle s’est éclipsée au XIX°  et au XX° siècle (guerres, communisme) au profit du Japon qui est alors devenu la puissance dominante de l'Asie. Les relations deviennent alors  mauvaises entre la Chine et le Japon qui s'affrontent au cours de la II° Guerre mondiale (1937-1945) et au cours de la guerre froide. La Chine de Mao (1949-1976) dénonce en effet l'alliance entre le Japon et l'ennemi capitaliste étasunien. Les relations sino-japonaises s’améliorent toutefois en 1978, date à laquelle les deux pays signent un traité d’amitié. Mais, malgré ce traité, les tensions restent  palpables :
-Tensions historiques : la brutalité des troupes japonaises à l’égard des Chinois (massacre de Nankin en 1937) n’a jamais été dénoncée par les gouvernements japonais  contemporains, ce qui irrite la Chine, la Corée, et tous les anciens pays victimes de l’impérialisme nippon.
-Tensions territoriales : le Japon reproche aux Chinois leurs  ambitions sur les  îles Senkaku. La Chine est perçue comme un pays impérialiste dans toute l’Asie de l’Est : elle ambitionne de "dominer" le Sud-est asiatique, et, dans cette logique, elle revendique les îles Spratly et les îles Paracel, au grand dam des Philippines, du Viêt-Nam et de l’Indonésie + elle entretient des relations tendues avec l’Inde, au sujet du Tibet… Elle n'a qu'un seul vrai allié, la douteuse Corée du Nord.
- Le Japon profite de la mauvaise image de la Chine, pour apparaître, par contraste, comme une puissance "sympathique" dans la région : elle fait en effet de gros efforts pour l'aide publique au développement (APD) en direction de l'Inde et des pays de l'ASEAN (organisation régionale de l'Asie du Sud-est).
C.      La Chine et le Japon, 2 adversaires économiques en Asie

L'archipel nippon a été, depuis la fin du XIX° siècle, le leader économique de la région. Son modèle de développement a été surnommé le « vol d’oie sauvage » : il développe des technologies et passe le relais à d’autres pays proches (les « oies ») une fois que cette technologie s'est répandue. Le Japon innove alors dans de nouvelles technologies et ainsi de suite. Le Japon est donc un leader technologique : il dépose beaucoup de brevets, et sa technologie est ensuite imitée dans le reste de l’Asie. Avec une telle inventivité, la hausse du PIB japonais a été impressionnante, entre 1950 et 1990.  Le Japon devient la 2° puissance économique mondiale entre 1968 et 2010, même si le pays pèse peu sur la scène internationale. A son propos, on emploie alors l’expression : « géant économique, mais nain politique ».
De son côté, la Chine s’est imposée plus tardivement : entre 1980 et 2001, elle profite de ses bas salaires pour attirer des IDE et devenir « l’atelier du monde ». Elle reçoit des IDE des pays les plus riches : Corée du Sud, Japon, Singapour. En 2011, elle devient la 1° puissance économique d’Asie, devant le Japon.
Au XXI° siècle, les deux pays se livrent une lutte pour la domination économique du continent asiatique :
-          Le 1° partenaire commercial de l'Indonésie est le Japon (flux matériels). Cependant, pour la plupart des pays de la région (Thaïlande, Viêt-Nam), c'est la Chine qui est le principal partenaire commercial. Elle est le premier exportateur de produits finis dans la région (électroménager, automobiles). Chine et Japon sont donc prépondérants dans l'économie des États de l'ASEAN.
-          Toute l'Asie reçoit de nombreux IDE du Japon et de la Chine (flux immatériels). Les investissements directs  japonais sont les plus importants, notamment en Inde et dans les pays de l'ASEAN. Les exportations d'IDE chinois sont plus récentes, car la Chine a longtemps été considérée comme un pays à bas salaire. Elle investit à présent dans des pays où les salaires sont encore plus bas que chez elle : Exemple : vers le Bangladesh ou vers le Viêt-Nam, dans le textile, notamment.

La rivalité entre les deux est aussi financière : le Japon joue le rôle de leader financier : c’est le premier créancier de la région, grâce à la Banque asiatique de développement...La Chine a réagi il y a quelques années en développant à son tour sa propre banque de développement. Malgré leurs rivalités politiques, Chine et Japon sont restés des partenaires économiques : La Chine est le 1° partenaire commercial du Japon, et vice-versa. Les flux de marchandises d’un pays vers l’autre sont en progrès constants. On remarque néanmoins que  depuis 6 ou 7 ans, les échanges se font avant tout au profit de la Chine.

II.                  Des puissances concurrentes aux ambitions mondiales
A.      Au niveau économique

On se rappelle que 90% des échanges mondiaux ont lieu par la voie maritime : les deux pays ont donc développé une façade maritime dynamique tournée vers le commerce mondial, alors que l'"intérieur" du pays reste beaucoup plus traditionnel.
La Chine a l’ambition de supplanter les USA et de devenir la 1° puissance mondiale. Elle est déjà la 1° puissance industrielle mondiale, (2017) et elle a réussi son pari de devenir l’atelier du monde.
Ses IDE ont été multipliés par 20 depuis 2000. La carte nous montre que la Chine investit dans le monde entier. On remarque, par exemple, l'importance de son implication en Afrique, ce qui fait parler de « Chinafrique ». Exemple : la Chine, pays omniprésent au Soudan, Ethiopie, Nigeria, Algérie, Afrique du Sud... Mais la Chine réalise l'essentiel de ses exportations vers les USA et l'Europe. Elle s’intéresse notamment à la Grèce (rachat du port du Pirée) et à la France : la richissime Coco Chu a récemment racheté la cristallerie Baccarat, en Lorraine, en juin 2017.
La Chine s’intéresse aussi à l’Amérique latine : rôle très actif avec le Mercosur : projet d’un axe de libre-échange : Mercosur-Chine. Bref, elle a une stratégie commerciale globale : toutes les zones du globe l’intéressent. 
Aujourd’hui, la domination chinoise se veut  double, à la fois dans les produits à bas salaires (coût du travail : à peine  3 $ de l’heure)  et dans les produits à forte VA (aéronautique et aérospatiale depuis peu)
Le Japon, de son côté, est avant tout présent dans le monde grâce à ses grandes FTN, dont la notoriété est très supérieures à celles de la Chine : Sony, Toyota, Honda ou Hitachi. Le Japon exporte des produits de qualité, essentiellement vers des pays à fort pouvoir d'achat : Chine, Europe, Amérique du Nord. Il s’agit souvent de produits innovants, à forte valeur ajoutée, comme des instruments de musique (Yamaha) ou du matériel médical, robotique, nanotechnologies.
Au final, la croissance économique est plus impressionnante en Chine, qui a connu des taux de croissance du PIB de + 8% en moyenne depuis 20 ans, alors que la croissance  économique japonaise a tendance à stagner.

B.      Au niveau politique

Le Japon ne veut plus être un « nain politique ».  Il est pourtant complètement tributaire de son alliance avec les USA, alliance indispensable dans la mesure où les Japonais n'ont pas de vraie armée. Tokyo affirme sa voix en participant à des missions de l’ONU, à condition que ces missions soient humanitaires (ex : corps médical en Afghanistan, missions de surveillance navale au large de la Somalie). Pour prix de ses efforts, le Japon exige un siège au conseil de l’Onu depuis 1993. Et il peut compter sur de nombreux soutien car le Japon est un des principaux financeurs de l’APD (aide publique au développement), en Asie (déjà dit) et dans les PMA d'Afrique. 
Sur le plan militaire, le gouvernement veut réformer la constitution pour lui permettre d’avoir une vraie armée et donc un vrai poids politique sur la scène internationale. C’est l’ambition de la très chauvine  ministre de la défense japonaise Tomomi Inada. Son projet est, il est vrai, légitimé par la menace nord-coréenne. L’inauguration d'un porte-hélicoptère japonais montre que le pays prend son destin en main sur le plan militaire.
En ce qui concerne l’armée chinoise, elle tient un rôle de 2° puissance mondiale. Elle possède l'arme nucléaire, et son budget a été multiplié par 7 depuis 1989. Sur le plan politique, la Chine possède un siège de membre permanent au Conseil de Sécurité, et elle participe à des actions humanitaires en Afrique (Soudan du Sud, Syrie, RDC ) . Avec son siège permanent à l’ONU, elle  joue le rôle d’obstacle aux propositions des USA. Lors des réunions du « G20 », les mauvaises langues parlent parfois de « G2 », tant le poids des USA et de la Chine est prépondérant, par rapport aux autres États ... La Chine a notamment noué des relations privilégiées avec l’Iran, le Soudan, la Syrie, la Corée du Nord... Des pays peu recommandables en matière de droits de l’homme. Mais les droits de l’homme ne sont pas forcément la priorité de Pékin.

C.      Au niveau culturel

Vecteur de domination des Japonais : le sport (les arts martiaux : judo, karaté..), cinéma  et mangas, mode vestimentaire, la gastronomie (bars à sushis), les loisirs : Sudoko, jeu de go = poids non négligeable sur la scène internationale. On parle de  « cool Japan » : les produits culturels qui diffusent la civilisation japonaise à l’étranger et lui donne une image positive. Le Japon a également un poids dans la littérature : Higashino, Kenzaburo Ôe (Prix Nobel de littérature en 1994).
La Chine a pris conscience de son déficit de notoriété culturelle et s'interroge sur la façon de le combler.  Le PC chinois s'est notamment ému du succès du dessin animé : "Kung Fu panda". "Comment se fait-il que ce soit les Américains qui soient capables de mettre en valeur des éléments culturels si typiquement chinois (les arts martiaux d’une part, le panda animal emblématique de la Chine d’autre part) ?" Les Chinois aimeraient aussi parvenir  à diffuser des films susceptibles d'avoir un rayonnement mondial. Pour l’heure, la Chine développe son rayonnement de trois manières
D'abord, sur le plan humain : grâce à sa diaspora : autrefois limitée à l’Asie, et désormais présente sur tous les continent (Ex. quartiers chinois de Vancouver, de  Sydney, de Paris XIII°), les Chinois sont devenus des acteurs économiques incontournables, qui diffusent l’art de vivre à la chinoise : restos chinois, nouvel an chinois, instituts Confucius pour apprendre la langue, de plus en plus de demandée + art de vivre : Feng shui, yoga ...
Ensuite, le PCC compte aussi sur  l’organisation d’événements internationaux : JO de Pékin, expo de Shanghai, dopage d’athlètes pour rafler des médailles, même si personne n’est capable de citer un seul sportif chinois.
Enfin, à l'avenir, Pékin aimerait détrôner les USA dans la domination mondiale du Web. Elle en a les moyens avec les "GAFA chinois" les "BATX": Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (Baidu est le Google chinois, Alibaba est l'Amazon chinois, Tencent ressemble un peu à Whatsapp, et Xiaomi est l'équivalent d'Apple)




III.                Des vulnérabilités qui sont un frein aux ambitions mondiales de ces deux pays
A.      Au niveau politique :

La Chine pâtit d’une mauvaise image : censure de Google, Tibet. Le pays n'est populaire qu'au sein des dictatures. Les Occidentaux lui reprochent le mauvais traitement fait au Tibet et au pacifique Dalai Lama. Les musulmans déplorent eux le mauvais traitement fait à la minorité turque qui vit à l’ouest du pays. La politique chinoise n’a pas beaucoup d’admirateurs si l’on excepte l’excité Kim-Jung-Un de Corée du Nord. Sa politique, dictatoriale sur le plan intérieur,  et impérialiste (Senkaku) sur le plan extérieur,  en font un pays particulièrement répulsif.
Quant au Japon, il bénéficie d’une bonne image, fruit de la « cool Japan », mais il souffre de son passé. L’absence d’excuses pour les crimes commis par l’armée nippone lors de la II° GM reste un handicap : Corée du Sud, Philippines, ont des griefs contre le Japon. Le Japon souffre de "ses vieux démons", car les nostalgiques de l'Empire impérialiste des années 1940 sont nombreux, (y compris au sein du gouvernement actuel : le 1° ministre Shinzo Abe et la ministre Tomomi Inada) et cet état d'esprit est un frein à l'attractivité du Japon dans la région. Or, le japon, tout comme la Chine, ont besoin des pays étrangers pour importer leur nourriture et leurs matières premières. Ils ont donc tous les deux besoin d’améliorer leur image de marque pour être mieux perçus

B.      Au niveau démographique

Les deux pays vieillissent. Ce vieillissement s’accompagne d’un exode rural à destination des zones littorales, où se déroulent 90% des échanges mondiaux. Ces migrations vident l’intérieur des terres au profit du littoral, qui devient surpeuplé. Le Japon parle du "choc argenté", car c’est le pays comprenant la plus importante proportion de personnes âgée de plus de 65 ans. La mortalité est supérieure à la natalité et la population diminue. Ce phénomène est accueilli avec soulagement, dans un pays déjà surpeuplé et incapable de recevoir plus d'habitants (1000 h/km² dans les plaines). La Chine pourrait connaître le même phénomène dans une vingtaine d'année : la politique de l'enfant unique conduit ces mêmes enfants à devoir gérer leurs ainés vieillissants. Les classes dynamiques nées dans les années 1960 à1970 vont vieillir dans une quinzaine d'années et la Chine sera à son tour confrontée au choc argenté.

C.      Au niveau économique

La croissance japonaise stagne, car ses coûts de production sont trop élevés. Le Japon a été, depuis 25 ans, victime de l' "Hendaka", la hausse du yen. Ce phénomène a ruiné le Japon, car il s'agit d'une économie extravertie. Solution = délocalisations, mais cela crée moins d'emplois et de richesses sur le territoire nippon. Faible croissance économique et récession. Le Japon est obligé d’innover constamment pour créer des emplois et exporter.
La Chine connaît un ralentissement économique depuis  2013 : 2014 : +7% seulement et 2015 + 6.8%, sachant que ces   chiffres sont  surestimés. Les Chinois craignent que ce ralentissement n’entraine du chômage, et des émeutes, qui déstabiliseraient le pouvoir en place. A moyen terme, le yuan va lui aussi finir par monter, ce qui créera de nouvelles difficultés pour la Chine.


Ainsi, le Japon et la Chine sont des rivaux économiques, géopolitiques et culturels tant à l’échelle asiatique qu’à l’échelle mondiale. Actuellement, la Chine semble l’emporter dans cette compétition, et sa volonté de rayonnement s'accompagne d'une agressivité qui pousse les Japonais à investir dans l'armement. Cependant, les deux puissances sont confrontées à des défis d’avenir comme le vieillissement de leur population, la forte dépendance énergétique et la vulnérabilité environnementale. 
Le risque, à l'avenir, serait que, pour fuir une éventuelle contestation populaire, en cas de crise économique par exemple, le parti communiste chinois n'entreprenne une diversion nationaliste en envahissant réellement les îles Senkaku. Une telle action provoquerait une très grave crise entre la Chine et le Japon, crise qui, par le jeu des alliances, aurait des répercussions mondiales.


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