Partie 3 : Japon-Chine : concurrences
régionales, ambitions mondiales
Le japon et la Chine sont les deux puissances dominantes du continent
asiatique. Ces deux pays ont beau être issus d’un espace culturel commun, ils se
livrent à une intense rivalité politique, comme le montre le conflit qui les
oppose aux îles Senkaku, en mer de Chine. Mais la rivalité de ces deux géants
ne se limite pas uniquement à l’espace régional asiatique. Tokyo et Pékin
nourrissent également des ambitions mondiales, dans les domaines économiques,
politiques et culturels. Comment se manifeste la concurrence régionale entre la
Chine et le Japon et quelles sont les ambitions mondiales de ces deux pays ?
Après avoir abordé les diverses formes de
concurrence que le Japon et la Chine se livrent en Asie (I), nous verrons leurs vastes
ambitions mondiales (II). Mais ces pays
pâtissent de points faibles communs, sur le plan politique, démographique et
économique (III)
I.
Des puissances concurrentes en Asie de l’Est
A. Le poids démographique de la Chine en Asie
Le poids démographique de la Chine est énorme : non
seulement c'est le pays le plus peuplé
du monde, avec 1.35 milliards d’habitants, mais la diaspora chinoise est
importante dans le Sud-est asiatique. Cette communauté, forte de 35 millions
d’habitants, facilite les relations économiques entre la Chine et les pays du
Sud-est asiatique tels que l’Indonésie, le Viêt-Nam. Il s'agit d'une force
démographique sur laquelle les Japonais, très regroupés géographiquement, ne
peut pas s'appuyer. Le Japon abrite seulement 127 millions d'habitants qui
s'expatrient relativement peu. La diaspora chinoise est donc un atout dans la
volonté chinoise de domination politique et économique en Asie du Sud-est.
B. La Chine et le Japon, 2 adversaires politiques en Asie
L’influence
chinoise a été importante en Asie pendant 2000 ans, puis elle s’est éclipsée au
XIX° et au XX° siècle (guerres,
communisme) au profit du Japon qui est alors devenu la puissance dominante de
l'Asie. Les relations deviennent alors
mauvaises entre la Chine et le Japon qui s'affrontent au cours de la II°
Guerre mondiale (1937-1945) et au cours de la guerre froide. La Chine de Mao
(1949-1976) dénonce en effet l'alliance entre le Japon et l'ennemi capitaliste
étasunien. Les relations sino-japonaises s’améliorent toutefois en 1978, date à
laquelle les deux pays signent un traité d’amitié. Mais, malgré ce traité, les
tensions restent palpables :
-Tensions historiques : la
brutalité des troupes japonaises à l’égard des Chinois (massacre de Nankin en
1937) n’a jamais été dénoncée par les gouvernements japonais contemporains, ce qui irrite la Chine, la
Corée, et tous les anciens pays victimes de l’impérialisme nippon.
-Tensions territoriales : le
Japon reproche aux Chinois leurs
ambitions sur les îles Senkaku.
La Chine est perçue comme un pays impérialiste dans toute l’Asie de
l’Est : elle ambitionne de "dominer" le Sud-est asiatique, et,
dans cette logique, elle revendique les îles Spratly et les îles Paracel, au
grand dam des Philippines, du Viêt-Nam et de l’Indonésie + elle entretient des
relations tendues avec l’Inde, au sujet du Tibet… Elle n'a qu'un seul vrai
allié, la douteuse Corée du Nord.
- Le Japon profite de la mauvaise
image de la Chine, pour apparaître, par contraste, comme une puissance
"sympathique" dans la région : elle fait en effet de gros efforts
pour l'aide publique au développement (APD) en direction de l'Inde et des pays
de l'ASEAN (organisation régionale de l'Asie du Sud-est).
C. La Chine et le Japon,
2 adversaires économiques en Asie
L'archipel
nippon a été, depuis la fin du XIX° siècle, le leader économique de la région.
Son modèle de développement a été surnommé le « vol d’oie sauvage » : il développe des technologies et passe le
relais à d’autres pays proches (les « oies ») une fois que cette
technologie s'est répandue. Le Japon innove alors dans de nouvelles
technologies et ainsi de suite. Le Japon est donc un leader
technologique : il dépose beaucoup de brevets, et sa technologie est ensuite
imitée dans le reste de l’Asie. Avec une telle inventivité, la hausse du PIB
japonais a été impressionnante, entre 1950 et 1990. Le Japon devient la 2° puissance économique
mondiale entre 1968 et 2010, même si le pays pèse peu sur la scène internationale.
A son propos, on emploie alors l’expression : « géant économique, mais
nain politique ».
De son côté, la Chine s’est imposée plus tardivement
: entre 1980 et 2001, elle profite de ses bas salaires pour attirer des IDE et
devenir « l’atelier du monde ». Elle reçoit des IDE des pays les plus
riches : Corée du Sud, Japon, Singapour. En 2011, elle devient la 1°
puissance économique d’Asie, devant le Japon.
Au XXI° siècle, les deux pays se livrent une lutte pour la domination
économique du continent asiatique :
-
Le 1° partenaire commercial de l'Indonésie est le Japon (flux matériels).
Cependant, pour la plupart des pays de la région (Thaïlande, Viêt-Nam), c'est
la Chine qui est le principal partenaire commercial. Elle est le premier
exportateur de produits finis dans la région (électroménager, automobiles).
Chine et Japon sont donc prépondérants dans l'économie des États de l'ASEAN.
-
Toute l'Asie reçoit de nombreux IDE du Japon et de la Chine (flux
immatériels). Les investissements directs
japonais sont les plus importants, notamment en Inde et dans les pays de
l'ASEAN. Les exportations d'IDE chinois sont plus récentes, car la Chine a
longtemps été considérée comme un pays à bas salaire. Elle investit à présent
dans des pays où les salaires sont encore plus bas que chez elle : Exemple :
vers le Bangladesh ou vers le Viêt-Nam, dans le textile, notamment.
La rivalité entre les deux est aussi financière : le
Japon joue le rôle de leader financier : c’est le premier créancier de la
région, grâce à la Banque asiatique de développement...La Chine a réagi
il y a quelques années en développant à son tour sa propre banque de
développement. Malgré leurs rivalités politiques, Chine et Japon sont restés
des partenaires économiques : La Chine est le 1° partenaire commercial du
Japon, et vice-versa. Les flux de marchandises d’un pays vers l’autre sont en
progrès constants. On remarque néanmoins que
depuis 6 ou 7 ans, les échanges se font avant tout au profit de la
Chine.
II.
Des
puissances concurrentes aux ambitions mondiales
A.
Au niveau
économique
On se rappelle que 90% des échanges mondiaux ont
lieu par la voie maritime : les deux pays ont donc développé une façade
maritime dynamique tournée vers le commerce mondial, alors que
l'"intérieur" du pays reste beaucoup plus traditionnel.
La Chine a l’ambition de supplanter les USA et de
devenir la 1° puissance mondiale. Elle est déjà la 1° puissance industrielle
mondiale, (2017) et elle a réussi son pari de devenir l’atelier du monde.
Ses IDE ont été multipliés par 20 depuis 2000. La carte nous montre que
la Chine investit dans le monde entier. On remarque, par exemple, l'importance
de son implication en Afrique, ce qui fait parler de « Chinafrique ». Exemple : la
Chine, pays omniprésent au Soudan, Ethiopie, Nigeria, Algérie, Afrique du
Sud... Mais la Chine réalise l'essentiel de ses exportations vers les USA et
l'Europe. Elle s’intéresse notamment à la Grèce (rachat du port du Pirée) et à
la France : la richissime Coco Chu a récemment racheté la cristallerie
Baccarat, en Lorraine, en juin 2017.
La Chine s’intéresse aussi à l’Amérique latine : rôle très actif
avec le Mercosur : projet d’un axe de libre-échange : Mercosur-Chine.
Bref, elle a une stratégie commerciale globale : toutes les zones du globe
l’intéressent.
Aujourd’hui, la domination chinoise se veut double, à la fois dans les produits à bas
salaires (coût du travail : à peine
3 $ de l’heure) et dans les
produits à forte VA (aéronautique et aérospatiale depuis peu)
Le Japon, de son côté, est avant tout présent dans
le monde grâce à ses grandes FTN, dont la notoriété est très supérieures à
celles de la Chine : Sony, Toyota, Honda ou Hitachi. Le Japon exporte des
produits de qualité, essentiellement vers des pays à fort pouvoir d'achat :
Chine, Europe, Amérique du Nord. Il s’agit souvent de produits innovants, à
forte valeur ajoutée, comme des instruments de musique (Yamaha) ou du matériel
médical, robotique, nanotechnologies.
Au final, la croissance économique est plus impressionnante en Chine, qui
a connu des taux de croissance du PIB de + 8% en moyenne depuis 20 ans, alors
que la croissance économique japonaise a
tendance à stagner.
B. Au niveau politique
Le Japon ne veut plus être un « nain
politique ». Il est pourtant
complètement tributaire de son alliance avec les USA, alliance indispensable
dans la mesure où les Japonais n'ont pas de vraie armée. Tokyo affirme sa voix
en participant à des missions de l’ONU, à condition que ces missions soient
humanitaires (ex : corps médical en Afghanistan, missions de surveillance
navale au large de la Somalie). Pour prix de ses efforts, le Japon exige un
siège au conseil de l’Onu depuis 1993. Et il peut compter sur de nombreux
soutien car le Japon est un des principaux financeurs de l’APD (aide publique
au développement), en Asie (déjà dit) et dans les PMA d'Afrique.
Sur le plan militaire, le gouvernement veut réformer la constitution pour
lui permettre d’avoir une vraie armée et donc un vrai poids politique sur la
scène internationale. C’est l’ambition de la très chauvine ministre de la défense japonaise Tomomi Inada.
Son projet est, il est vrai, légitimé par la menace nord-coréenne.
L’inauguration d'un porte-hélicoptère japonais montre que le pays prend son
destin en main sur le plan militaire.
En ce qui concerne l’armée chinoise, elle tient un rôle
de 2° puissance mondiale. Elle possède l'arme nucléaire, et son budget a été
multiplié par 7 depuis 1989. Sur le plan politique, la Chine possède un siège
de membre permanent au Conseil de Sécurité, et elle participe à des actions
humanitaires en Afrique (Soudan du Sud, Syrie, RDC ) . Avec son siège permanent
à l’ONU, elle joue le rôle d’obstacle
aux propositions des USA. Lors des réunions du « G20 », les mauvaises
langues parlent parfois de « G2 », tant le poids des USA et de la
Chine est prépondérant, par rapport aux autres États ... La Chine a notamment
noué des relations privilégiées avec l’Iran, le Soudan, la Syrie, la Corée du
Nord... Des pays peu recommandables en matière de droits de l’homme. Mais les
droits de l’homme ne sont pas forcément la priorité de Pékin.
C.
Au niveau
culturel
Vecteur de domination des Japonais : le sport
(les arts martiaux : judo, karaté..), cinéma et mangas, mode vestimentaire, la gastronomie
(bars à sushis), les loisirs : Sudoko, jeu de go = poids non négligeable sur la
scène internationale. On parle de
« cool Japan » :
les produits culturels qui diffusent la civilisation japonaise à l’étranger et
lui donne une image positive. Le Japon a également un poids dans la
littérature : Higashino, Kenzaburo Ôe (Prix Nobel de littérature en 1994).
La Chine a pris conscience de son déficit de notoriété culturelle et
s'interroge sur la façon de le combler.
Le PC chinois s'est notamment ému du succès du dessin animé : "Kung
Fu panda". "Comment se fait-il que ce soit les Américains qui soient
capables de mettre en valeur des éléments culturels si typiquement chinois (les
arts martiaux d’une part, le panda animal emblématique de la Chine d’autre part)
?" Les Chinois aimeraient aussi parvenir
à diffuser des films susceptibles d'avoir un rayonnement mondial. Pour l’heure,
la Chine développe son rayonnement de trois manières
D'abord, sur le plan humain : grâce à sa
diaspora : autrefois limitée à l’Asie, et désormais présente sur tous les
continent (Ex. quartiers chinois de Vancouver, de Sydney, de Paris XIII°), les Chinois sont
devenus des acteurs économiques incontournables, qui diffusent l’art de vivre à
la chinoise : restos chinois, nouvel an chinois, instituts Confucius pour
apprendre la langue, de plus en plus de demandée + art de vivre : Feng
shui, yoga ...
Ensuite, le PCC compte aussi sur l’organisation d’événements
internationaux : JO de Pékin, expo de Shanghai, dopage d’athlètes pour
rafler des médailles, même si personne n’est capable de citer un seul sportif chinois.
Enfin, à l'avenir, Pékin aimerait détrôner les USA
dans la domination mondiale du Web. Elle en a les moyens avec les "GAFA
chinois" les "BATX": Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi (Baidu
est le Google chinois, Alibaba est l'Amazon chinois, Tencent ressemble un peu à
Whatsapp, et Xiaomi est l'équivalent d'Apple)
III.
Des
vulnérabilités qui sont un frein aux ambitions mondiales de ces deux pays
A. Au niveau politique :
La Chine pâtit d’une mauvaise image : censure
de Google, Tibet. Le pays n'est populaire qu'au sein des dictatures. Les
Occidentaux lui reprochent le mauvais traitement fait au Tibet et au pacifique Dalai
Lama. Les musulmans déplorent eux le mauvais traitement fait à la minorité
turque qui vit à l’ouest du pays. La politique chinoise n’a pas beaucoup
d’admirateurs si l’on excepte l’excité Kim-Jung-Un de Corée du Nord. Sa
politique, dictatoriale sur le plan intérieur,
et impérialiste (Senkaku) sur le plan extérieur, en font un pays particulièrement répulsif.
Quant au Japon, il bénéficie d’une bonne image,
fruit de la « cool Japan », mais il souffre de son passé. L’absence d’excuses pour les crimes commis par
l’armée nippone lors de la II° GM reste un handicap : Corée du Sud,
Philippines, ont des griefs contre le Japon. Le Japon souffre de "ses vieux démons", car les nostalgiques de
l'Empire impérialiste des années 1940 sont nombreux, (y compris au sein du
gouvernement actuel : le 1° ministre Shinzo Abe et la ministre Tomomi
Inada) et cet état d'esprit est un frein à l'attractivité du Japon dans la
région. Or, le japon, tout comme la Chine, ont besoin des pays étrangers pour
importer leur nourriture et leurs matières premières. Ils ont donc tous les
deux besoin d’améliorer leur image de marque pour être mieux perçus
B. Au niveau démographique
Les deux pays vieillissent. Ce vieillissement
s’accompagne d’un exode rural à destination des zones littorales, où se
déroulent 90% des échanges mondiaux. Ces migrations vident l’intérieur des
terres au profit du littoral, qui devient surpeuplé. Le Japon parle du
"choc argenté", car c’est le pays comprenant la plus importante
proportion de personnes âgée de plus de 65 ans. La mortalité est supérieure à
la natalité et la population diminue. Ce phénomène est accueilli avec
soulagement, dans un pays déjà surpeuplé et incapable de recevoir plus
d'habitants (1000 h/km² dans les plaines). La Chine pourrait connaître le même
phénomène dans une vingtaine d'année : la politique de l'enfant unique conduit
ces mêmes enfants à devoir gérer leurs ainés vieillissants. Les classes
dynamiques nées dans les années 1960 à1970 vont vieillir dans une quinzaine
d'années et la Chine sera à son tour confrontée au choc argenté.
C. Au niveau économique
La croissance japonaise stagne, car ses coûts de
production sont trop élevés. Le Japon a été, depuis 25 ans, victime de l'
"Hendaka", la hausse du yen. Ce phénomène a ruiné le Japon, car il
s'agit d'une économie extravertie. Solution = délocalisations, mais cela crée
moins d'emplois et de richesses sur le territoire nippon. Faible croissance
économique et récession. Le Japon est obligé d’innover constamment pour créer
des emplois et exporter.
La Chine connaît un ralentissement économique
depuis 2013 : 2014 : +7% seulement
et 2015 + 6.8%, sachant que ces
chiffres sont surestimés. Les
Chinois craignent que ce ralentissement n’entraine du chômage, et des émeutes,
qui déstabiliseraient le pouvoir en place. A moyen terme, le yuan va lui aussi
finir par monter, ce qui créera de nouvelles difficultés pour la Chine.
Ainsi, le Japon et la
Chine sont des rivaux économiques, géopolitiques et culturels tant à l’échelle
asiatique qu’à l’échelle mondiale. Actuellement, la Chine semble l’emporter
dans cette compétition, et sa volonté de rayonnement s'accompagne d'une
agressivité qui pousse les Japonais à investir dans l'armement. Cependant, les
deux puissances sont confrontées à des défis d’avenir comme le vieillissement
de leur population, la forte dépendance énergétique et la vulnérabilité
environnementale.
Le risque, à l'avenir, serait que, pour fuir une
éventuelle contestation populaire, en cas de crise économique par exemple, le
parti communiste chinois n'entreprenne une diversion nationaliste en
envahissant réellement les îles Senkaku. Une telle action provoquerait une très
grave crise entre la Chine et le Japon, crise qui, par le jeu des alliances,
aurait des répercussions mondiales.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire