Question3 - L’Asie du Sud et de l’Est :
les enjeux de la croissance
Mumbai : modernité, inégalités
Située sur l'Océan Indien, Mumbai est la capitale
économique de l’Inde. Elle fait en partie de ces mégapoles géantes et les
images qu'elle nous évoque sont plutôt répulsives et emblématiques des pays du
« Sud » : une démographie galopante, qui complique le recensement de la population, des bidonvilles sordides,
et une saleté sans pareil. Mais Mumbai nous offre aussi un autre visage :
celui d’un phare du développement d’un des pays les plus prometteurs du
monde : l’Inde. Mumbai attire en
effet des IDE venus du monde entier, et elle se développe à toute vitesse Elle
accueille aujourd’hui une classe moyenne qui fait mentir les clichés
misérabilistes sur l’extrême-misère des villes du sous-continent indien. Mumbai
est donc une ville de forts contrastes
sociaux, au même titre que les grandes mégapoles de la Chine ou de
l'ASEAN.
En quoi
Mumbai est-elle une mégapole révélatrice du dynamisme et des inégalités de la
croissance asiatique ?
Nous soulignerons tout d’abord les
caractéristiques de l’intégration de Mumbai dans la mondialisation, et nous
verrons ensuite que cette intégration bouleverse l’organisation géographique de la ville. Les problèmes écologiques et
sociaux engendrés par ce développement effréné seront abordés dans une
troisième partie.
I.
Une métropole moderne et mondialisée
A.
Une métropole
économique
Mumbai
compte 22 millions d'habitants environ, en englobant le grand Mumbai. Sans les
banlieues, la ville compte 12 millions d’habitants ce qui en fait la ville la plus peuplée de
l'Inde, ex-æquo avec Delhi. Elle fait partie de ces mégapoles du Sud qui
ont connu une croissance exponentielle depuis 1950 : à peine 4 millions
d'habitants en 1960, 6 millions en 1970. C'est également la ville la plus riche
de l’Inde, pour de nombreuses raisons.
L’atout de
Mumbai est sa façade littorale, le long de la mer d’Oman, à l’ouest de l’Inde,
un atout dont ne dispose pas la capitale
New Delhi, enclavée à l’intérieur des terres. Or, on se rappelle que 90% des
échanges se font par la voie maritime. Mumbai va profiter de sa position
maritime stratégique pour développer de nombreuses fonctions en lien avec la
mondialisation :
- Des fonctions économiques : « 6
des 8 premières FTN ont leur siège social à Mumbai ». On peut citer comme
exemple le célèbre groupe automobile Tata. Mumbai représente, selon le repère en haut de la
page 284, 7% du PIB de l’Inde, mais aussi 12% des emplois industriels. Mumbai
attire en effet des IDE venus du monde entier, et notamment des IDE de
l’importante et prospère diaspora indienne établie sur l’île Maurice. Les IDE
sont attirés à la fois par les
nombreuses infrastructures, qui font de
Mumbai une métropole moderne, et aussi
par ses bas salaires, qui en font une ville du Sud.
- Des fonctions boursières : 2
bourses à Mumbai. Une bonne partie de la richesse financière est produite dans
le "quartier des affaires historiques", appelé, à l’époque coloniale
britannique, le "quartier du
Fort"... On remarque que le quartier des affaires est si dynamique qu'il
est obligé de se délocaliser dans 2 autres quartiers de la ville : les
quartiers d’ Oshiwana et Bandra Kurla.
Les fonctions industrielles et
financières de Mumbai ont donc favorisé
la prospérité de la mégapole : au final, les salaires y sont, en moyenne, trois fois plus élevés que dans le reste de
l’Inde.
B. Une métropole culturelle
-
La fonction culturelle est également essentielle à Mumbai. C’est ce qui
la distingue de Delhi : Mumbai est la ville du cinéma : « film city »,
le musée du cinéma indien, attire en
pèlerinage des fans venus de tout le sous-continent indien. « Film
city » retrace les 110 années de gloire de
"Bollywood", 1° centre mondial du cinéma au monde, avec 250
films par an. Le cinéma indien est peu connu en France, mais il faut savoir que
certaines stars du cinéma, comme la célèbre Priyanka
Chopra (« Piggy Chops »), sont vénérées comme des dieux vivants
en Asie du Sud.
-
Mais Mumbai a aussi des fonctions universitaires (University of Mumbai).
Ainsi qu'un centre de recherche varié, dans le domaine de la science (Tata) et
dans le domaine nucléaire. Preuve que l'Inde peut faire partie des pays en
pointe dans l'innovation. L’Inde est en effet l’un des rares pays du Sud à faire
des efforts significatifs dans la R & D, et ceci depuis une bonne
quarantaine d’années, à présent.
Mumbai
est donc une ville influente, sur le
plan économique et culturel. D' après le Global Power City Index 2011,
elle est la 41e ville la plus attractive et la plus compétitive du
monde. Mais, à la réflexion, ce score est, somme toute, modeste. Mumbai est
certes une métropole importante, mais elle n'a pas la notoriété de
Londres, New York ou de Tokyo (les trois premières villes du classement)...
Par exemple, Mumbai n'est pas
spontanément citée par les élèves
lorsqu'on leur demande, à l’improviste, de citer le nom de trois villes
qui comptent dans le monde.
C. Un rôle d’interface
entre l’Inde et le reste du monde
Mumbai
joue un important rôle d’interface entre l’Inde et le monde comme l’indiquent
ses équipements de transport. :
- Sur le
plan aérien, ses deux aéroports internationaux (Chhatrapati Shivaji International Airport, Navi Mumbai International
Airport) en font un hub majeur entre l’Inde et le reste du monde. S’ajoute
à cela le Navi Mumbai International Airport, en projet. Mumbai abrite 40% des
vols internationaux de l’Inde. Évolution positive du trafic aérien : +50% de passagers entre
2009 et 2014 dans les aéroports de Mumbai.
En outre,
les nombreux ports de Mumbai exportent vers le monde entier. Ces ports sont
stratégiques pour le commerce international de l’Inde : la ville concentre
41% du commerce maritime du pays.
II.
Une métropole multipolaire en recomposition
A.
Une croissance mal
maitrisée
Mumbai
connaît une croissance spatiale mal maîtrisée. La situation stratégique de la
ville, située au bout d’une presqu’île, a longtemps été un atout : une position
portuaire facile à défendre, qui avait séduit les britanniques. Ces derniers
avaient développé le « quartier du fort » au XVIII° siècle. Mais
aujourd’hui cette position est un handicap : Mumbai, ville maritime par
excellence, ne peut s'étaler ni vers le
sud, ni vers l'ouest, et difficilement vers l’est, à cause du large fleuve
Ulhas. Le principal point cardinal est
donc le nord. Aussi, l’étalement urbain longe le littoral et contourne le parc national Sanjay Gandhi. Cette position est un
handicap important, qui pousse le prix du foncier à la hausse.
L’expansion
spatiale est telle qu’une "ville nouvelle" (Navi Mumbai) a été construite à l’est de l’agglomération. Navi Mumbai représente désormais l’essentiel
de l’espace urbanisé : 350 km², soit 3 x la taille de paris. Pour
l’instant, Navi Mumbai abrite 1
million d’habitants, mais sa population devrait encore augmenter dans les prochaines années, car le
gouvernement indien ambitionne de désengorger la population du cul-de-sac que
représente le quartier du fort. Il n’y a
pas encore de pont, entre le quartier du Fort et Navi Mumbai, car il faut affronter un bras de mer de 20 km. Ça oblige à prendre le
bateau ou à réaliser de longues migrations pendulaires.
L’étalement
urbain dépasse aujourd’hui les frontières de la municipalité, et il se poursuit,
de façon plus anarchique, au sud de Navi
Mumbai où de nombreuses entreprises s’installent, attirées par le prix du
foncier bas, à l’échelle de Mumbai, s'entend.
B.
Une ville
polycentrique
Une
nécessité pour la municipalité : diversifier les pôles économiques de Mumbai.
La pression immobilière aboutit à un triple phénomène :
·
1° phénomène : Une délocalisation des
activités industrielles vers la périphérie. Fuyant les loyers élevés, les
entreprises, gourmandes en espace, se regroupent dans de nouvelles zones
industrielles, notamment à Navi Mumbai.
C’est le cas du textile chinois.
·
2° phénomène : multiplication des CBD : Bandra-Kurla
(le plus important après quartier du Fort), Belapur et Oshiwara, pour
diminuer l’impact de la hausse de l’immobilier.
·
3°
phénomène : mais malgré tous ces pôles de richesses, la quantité de
slums ne diminue pas et aujourd’hui, 60% de la population de Mumbai habite
encore dans des bidonvilles.
La
principale arme contre la flambée des prix de l’immobilier est donc le
développement d’un « nouveau Mumbai » (Navi Mumbai en hindi), avec son propre CBD et ses activités
industrielles. On assiste alors à une spécialisation de la ville par quartiers
: activités tertiaires de prestige (finances, arts et cultures, services,
centres d'appel, comptabilité) au quartier du fort, et activités industrielles
gourmandes en foncier (textile
notamment, électronique) à Navi Mumbai.
Un
glissement de la croissance urbaine vers la périphérie : du fait de ses loyers
excessifs, le quartier du Fort se dépeuple. A l'inverse, les quartiers au nord
du parc national Sanjay Gandhi et Navi Mumbai connaissent une forte
croissance. L'essentiel de la population se regroupe à présent dans la
banlieue. Le doc 10 nous montre que ce
n'est peut-être que le début de la déconcentration : le développement de Navi Mumbai est programmé depuis longtemps.
La ville nouvelle devrait, à terme,
compter 10 millions d'habitants, avec aéroport, métro. Les autorités ont
clairement la volonté de bâtir un urbanisme attractif, organisé autour de quartiers propres et rationnels, bien desservis
par des transports en commun (les fameux bus rouges). Et pourquoi la
municipalité de Mumbai fait-elle tout cela à votre avis ?
Eh ben tout simplement parce que le rêve du
gouvernement indien, lorsqu’il a créé Navi
Mumbai, dans les années 1970, a été
de présenter aux Occidentaux une ville propre, débarrassée des ignobles
bidonvilles qui encerclent les alentours de banda-Kurla ! C’est une
question de prestige !
C.
Mais des transports
saturés
On observe
l’impact direct de cette urbanisation : la saturation du trafic et l’autopont
qui s’est surimposé montrent que la ville absorbe difficilement les
déplacements journaliers.
Situation aggravée par l'explosion
démographique incessante de Mumbai, qui continue à attirer une population
pauvre rurale, qui vient s'agglutiner dans les slums. Axes de transports
saturés, qui font un « U » pour rejoindre Navi Mumbai.
Des
projets de ponts se développent pour rapprocher les deux pôles. Ce projet d'un pont entre Navi Mumbai et le
quartier du Fort s’appelle le « Trans Harbour Sea Link » 2.7
milliards de dollars sur 21 km ... Lorsqu’il y aura un pont, Navi mumbai pourra connaître un réel
essor démographique car elle sera plus attractive + projet d'un monorail pour
relier les différents CBD du quartier
du Fort.
Avantages du monorail :
·
Décongestionner le centre-ville
·
Moderniser la ville avec des transports
propres
Inconvénients
·
Le monorail crée un appel d'air vers un
quartier déjà totalement surpeuplé
·
Coût énorme pour une ville qui manque de
moyens
III.
Une métropole peu durable aux fortes inégalités
A.
Des inégalités fortes
Photo qui
montre le fort contraste entre les
quartiers riches et pauvres. La population riche s’agglutine le long du
littoral. Exemple, Marine Drive. Les quartiers aisés se regroupent le long de l’Océan indien, souvent dans des
gratte-ciels, puisque le prix du m² est
exorbitant. Il y a déjà 91 gratte-ciels à Mumbai. Des gratte-ciels toujours
plus hauts (300 mètres !) conçus avec des matériaux encore plus légers
qu’une pensée libertine... Mumbai est
en effet une des villes les plus chères du monde. Exemple : l'Antilia tower,
immeuble de luxe. (La
villa Antilia du milliardaire Mukesh Ambani, avec ses 27 étages, ses
30 000 m², ses 3 héliports et son
parking sur 6 étages, un caprice d'autant plus surprenant qu’Ambani n'y habite
pas, depuis qu'il s'est rendu compte que cette habitation était non-conforme au vastu shastra, une science de la construction
et de l’aménagement intérieur extrêmement ancienne...)
La ville
est devenue si chère qu'une bonne partie des activités sont délocalisée, non
plus vers Navi Mumbai, mais encore
plus loin, vers la mégapole voisine de Pune (5 millions d'habitants), à 150 km
plus à l’est. 2° effet pervers de ces loyers élevés : une forte spéculation,
qui entraîne de la corruption et le développement de programmes de logements
qui ne trouvent pas de preneurs, parce que les loyers sont aussi élevés qu'à
New York, alors que la population gagne en moyenne 200 euros par mois.
A
l’inverse, il y a une toujours forte concentration de slums entre le quartier
du fort et « film city ». On rappelle que 60% de la population vit
dans des slums, souvent proches des CBD. Les bidonvilles géants de
Dharavi ou de Juhu, le slum du film Slumdog
millionaire. Le bidonville de Darhavi
est l’un des plus grands d’Asie avec 700 00 habitants. (Certains parlent de
1 million d’habitant). Ces slums encerclent le CBD de Bandra-Kurla, qui se retrouve cerné.
B.
La volonté de rendre
l’habitat plus attractif
L’enrichissement
de Mumbai, lié à l’afflux d’IDE, a fini par atteindre les slums. Dharavi, au nord du quartier du Fort,
longtemps bidonville repoussoir de la ville. Slum spécialisé à l’origine dans l'ingrat
métier du cuir. Depuis 5 ans, ce bidonville s'est enrichi et une partie de la
population y est entrée dans la société de consommation. Le slum abrite à
présent à la fois des populations
pauvres, mais aussi des classes moyennes, qui n'ont pas les moyens d'habiter
dans les immeubles de luxe du front de mer.
La
municipalité tente de légaliser l'habitat des slums mais la tâche est
compliquée par l'arrivée permanente de nouveaux arrivants. Les résultats de
cette réhabilitation sont décevants. En fait, malgré sa crasse, les habitants
sont attachés à Dharavi :
d’abord parce qu’il est très bien situé, à deux pas du quartier du Fort,
ensuite, parce qu’il y aurait, paraît-il, une vie de quartier, solidaire, que
l’on ne retrouve pas dans les immeubles modernes à l’occidentale.
Mais les
slums sont aussi des endroits de criminalité, et on assiste depuis peu au développement de ghettos pour riches : une
smart city
, Palava, (ville qui organise une
gestion intelligente des déchets, de l'énergie et des transports) se développe
au nord de Navi Mumbai, mais cette
ville est une gated-community, qui accentue la fragmentation sociale de la
ville. (Suggestion de rajouter Palava sur le croquis.)
C.
Des défis
environnementaux
Hygiène = point faible de la ville. Mumbai n'est pas
la ville la plus polluée, à l'échelle de l'Inde, grâce aux vents marins qui
dispersent les polluants. Mais les difficultés environnementales sont
nombreuses.
-
Une difficile gestion de l'eau : à peine 20%
de la population a accès à l'eau potable. L'évacuation des eaux usées est une
cause de maladies. La ville est, de plus régulièrement inondée (mousson), ce
qui disperse les déchets.
-
Autre point faible : la congestion
automobile : génère perte de temps, d’argent et pollution au Co².
-
La pression immobilière, qui s'exerce aux
dépens du parc Sanjay Gandhi et de la géographie de la région
en générale. Les animaux du parc son traqués et leur habitat est menacé. La
pression immobilière s'exerce aussi aux dépens de la mangrove le long des
côtes, ainsi qu'aux dépens des excellentes terres arables, qui reculent inexorablement.
Mumbai est
une mégapole moderne et dynamique, en plein essor et ouverte sur la
mondialisation, mais avec des fragilités sociales et environnementales qui en
font encore une ville des pays du sud. La municipalité a fait de gros efforts
pour réorganiser la ville et pour
réduire les inégalités, qui même si elles sont typiques des villes de l'Asie,
sont plus visibles à Mumbai que nulle
part ailleurs dans le monde.
Mais ces politiques urbaines resteront
vaines tant que la ville agira comme un aimant auprès d'une population rurale
pauvre, parfois illettrée, attirée, tels des papillons de nuit, par les
lumières de la grande métropole de l'Océan Indien. Mumbai devient alors le
reflet de Bollywood : un miroir aux alouettes provoquant des rêves illusoires.
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