Thème
5 : Intégration, conflit et changement social
La
conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur du
changement ?
I-
La conflictualité sociale : de quoi
parle-t-on ?
A-
Définir les conflits sociaux
Une action collective ou un mouvement/conflit social se caractérise
par quatre critères :
-
Des individus agissent collectivement de manière volontaire
(souvent à travers des syndicats,
associations, collectifs…)
-
Ils réclament un changement qu’ils jugent bénéfique pour la
société, défendent des idéaux, valeurs importantes à leurs yeux (avortement, mal bouffe, augmentation de
salaire)
-
Ils s’opposent à un adversaire connu de tous (des entreprises, les APU)
-
Se mobilisent de manière diverse (manifestation, boycott, pétition)
Au final, les conflits
sociaux sont une opposition entre au moins deux groupes aux intérêts
antagonistes qui se mobilisent à travers un répertoire d’action diversifié (manifestation pour ou contre le mariage
pour tous, séquestration de patrons Air France, grève générale en Guyane,
opération escargot, phénomènes NIMBY…).
B-
Des conflits en évolution
Les sociologues distinguent deux
types de conflits sociaux :
-
Les conflits du travail qui ont lieu dans le monde
économique, en entreprise
-
Les nouveaux mouvements sociaux (NMS) qui traversent
l’ensemble de la société
1- Les
conflits du travail disparaissent-ils ?
En 1976, 4.1 millions de journées
n’avaient pas été travaillées, cela signifie qu’il y a eu 4.1 millions de jours
de grève cette année-là. En 2008, 7.6% des salariés étaient syndiqués.
Le nombre de
jour de grève a chuté depuis les années 1970. Aujourd’hui, on compte
moins d’un demi-million de jours de grève par an contre au moins 8 fois plus
dans les années 70. Les conflits du travail ont donc tendance à disparaitre
dans notre société. Les travailleurs entrent de moins en moins souvent en
opposition avec le patronat.
Il
existe plusieurs explications à ce déclin :
-
Le niveau de vie des salariés s’est considérablement
amélioré ces 50 dernières années. Ils réclament moins souvent des
hausses de salaire. Plus largement, les enjeux matérialistes sont de moins en
moins un motif de conflit. Les enjeux matérialistes regroupent toutes les
réclamations qui portent sur la quantité de biens et de services dont un
individu peut disposer.
-
Les taux de syndicalisation très faibles limitent l’action
des syndicats. Ceux-ci ne semblent pas représentatifs du monde du
travail. Leurs appels à la grève sont moins nombreux et moins suivis.
-
La tertiarisation de la société conduit à une baisse du
poids des ouvriers or ce sont généralement les premiers à se mobiliser.
-
La négociation salariale en amont semble se développer dans
les entreprises. Le dialogue social semble se pacifier et permet
d’éviter les conflits.
-
Le développement de la précarité limite l’engagement des
titulaires de contrats courts qui ne se sentent pas membres d’un collectif et
ne voient pas l’intérêt de lutter pour des améliorations qui ne les touchent
pas.
-
Il ne semble pas rationnel de manifester : c’est le
paradoxe d’Olson. A quoi bon perdre une journée de salaire en faisan
grève alors que les entreprises accordent une hausse de salaire à tous qu’ils
aient manifesté ou non. Il est donc plus rationnel de jouer au passager
clandestin (profiter des avantages obtenus sans en payer le cout). Si
chacun tient ce raisonnement, les conflits ne devraient pas avoir lieu or
l’individualisme semble s’être développé dans nos sociétés.
Cependant
les conflits du travail n’ont pas disparu. Ils se sont transformés :
-
Pour limiter l’impact négatif sur les salariés les conflits
sont souvent moins longs et prennent la forme de freinage (ralentissement de la production) ou de débraillage
(interruption courte atelier par
atelier)
-
Les conflits deviennent plus violents (destruction de matériel, séquestration)
-
Les conflits du travail sont plus souvent défensifs qu’offensifs.
Les salariés réclament moins souvent des hausses de salaire mais une meilleur
protection de leurs droits en interpellant si nécessaire l’Etat (limitation des licenciements, plans de
reclassement importants). Les salariés cherchent à garder ce qui existe déjà
et se battent moins pour de nouveaux droits.
-
Les conflits ont tendance à se déplacer du secteur privé au
secteur public (fonctionnaires
peuvent plus facilement se mobiliser car ne risquent pas de représailles
directes de leur patron)
-
Pour aboutir, les conflits visent à paralyser la France (SNCF, barrages routiers, transporteurs
aériens)
è Les conflits du travail ont évolué sur 3 critères :
-
Les acteurs s’engageant
dans le conflit (baisse du secteur
privé, hausse du secteur privé)
-
Les enjeux du conflit (offensif/défensif)
-
Le répertoire d’action
mobilisé (baisse des grèves/hausse
des conflits courts et violents)
2- La
diversité des nouveaux mouvements sociaux (NMS)
|
Conflits du travail
|
NMS
|
Acteurs
|
Actifs :
essentiellement des ouvriers, peu diplômés, hommes, plus de 40 ans
|
Citoyens :
catégories moyennes/favorisées, diplômés, hommes et femmes, jeunes
|
Représentants, encadrants
|
Syndicats,
partis
|
Associations,
collectifs temporaires
|
Enjeux
|
Travail
(enjeux matérialistes) : hausse des salaires, protection des
travailleurs
|
Post-matérialistes :
revendication qualitative, lutte pour une meilleure qualité de vie, valeurs
importantes
|
Répertoire
|
Grèves,
actions violentes
|
Actions à
visée médiatique : manifestation, Gay pride, boycott, intrusion dans
une centrale nucléaire
|
Dans les années
70/80, les conflits sociaux se transformaient pour laisser place aux NMS.
Ils ne sont pas construits sur une opposition de classe et dépassent les enjeux
matérialistes. Ils mettent en évidence une nouvelle culture politique basée sur le
travail et sur l’épanouissement personnel, sur les valeurs qui touchent les
individus.
Egalité (manifestations pour
le mariage homosexuel, droits des femmes, accueil des migrants) Liberté (presse, Amnesty international, opinion) Ecologie (destruction de fast
food, champs OGM, Green Peace) Solidarité
(altermondialisme).
Le
développement de ces NMS a été permis par la montée de l’individualisme après
les Trente glorieuses qui ont permis la satisfaction des besoins matériels et
ont laissé plus de place à l’épanouissement personnel.
II-
Comment analyser les conflits sociaux ?
A-
Le conflit : pathologie de l’intégration ou facteur de
cohésion ?
1- Le
conflit comme rupture du lien social
Les conflits sociaux
peuvent être perçus comme un manque d’intégration de certains groupes.
L’affaiblissement
des institutions et des solidarités peuvent conduire les individus à adopter
des comportements anormaux. N’étant pas encadrés par la famille, la
religion, l’Etat, l’individu peut entrer en conflit avec le reste de la société
en voulant imposer des normes et des valeurs. Si l’individu c’était senti
appartenir à un groupe, ses revendications auraient été moins fortes et les
conflits moins nombreux.
Plus largement,
les valeurs et les normes d’une société doivent encadrer les comportements de
l’individu. Ces normes ont tendance à se relâcher avec la montée de
l’individualisme. L’affirmation des valeurs personnelles va donc se développer,
les conflits aussi. Si les normes et les valeurs avaient été mieux
partagées/inculquées, les conflits auraient été réduits.
è Au final, les conflits naissent d’une trop grande frustration
qui trouve sa source lorsque l’écart entre les buts à atteindre et les moyens
donnés aux individus pour les atteindre est trop grand. On parle d’anomie.
2- Le
conflit comme créateur de lien social
Dans d’autres analyses, le
conflit peut être envisagé comme un facteur de la cohésion sociale :
-
Entrer en conflit nécessite de s’organiser, de débattre et
créer donc du lien social au sein du groupe qui souhaite manifester (fabrication des tracts, organisation de
manifestations)
-
Certains conflits visent à affirmer les valeurs
essentielles d’une société. Les individus mettent en avant leurs points
communs avec les autres. De la solidarité mécanique apparait. Le conflit
rapproche les individus, forme des liens
-
Les conflits sont créateurs de liens sociaux car ils
finissent généralement par l’adoption d’un compromis. Chacun fait valoir
son opinion mais l’Etat finira par trancher. Cette décision devrait rapprocher
les individus, mettre fin aux tensions
-
Les conflits peuvent aussi créer des liens au sein de
chaque groupe. Une solidarité entre les manifestants se développe
puisqu’ils partagent une expérience qui les rapproche.
è Au final, selon les analyses, les conflits peuvent être
perçus comme un manque d’intégration, pathologie intérieure, soit, au
contraire, comme des évènements créant du lien social.
B-
Le conflit : moteur ou frein au changement social
Le changement social est
l’ensemble des transformations des normes, valeurs, culture, mentalité qui
affecte durable le fonctionnement d’une société.
1- Le
conflit comme facteur de changement social
Les événements
de mai 1968 remettent en cause le modèle autoritaire sur lequel était basée
notre société. Dans chaque domaine, les institutions sont fragilisées, les individus ne
veulent pas se voir imposer leur comportement (remise en cause des forces de l’ordre, des patrons, professeurs).
Mai 1968 s’explique par
différentes transformations économiques et sociales :
-
Le baby-boom qui augmente le nombre de jeunes
avec des valeurs et une culture différente de celle des ainés
-
Un essoufflement du modèle fordiste. L’ouvrier
ne veut pas être considéré comme un robot, un enfant
De nombreux
changements sociaux se sont développés
avec les évènements de mai 1968 (montée
de l’individualisme, remise en cause des institutions, demande de plus de
liberté/égalité, transformation de la vision du travail, préoccupation
internationales…)
D’autres
conflits ont été moteurs du changement : manifestation pour le mariage
homosexuel (montée de la tolérance),
les mobilisations répétées de Green Peace, WWF ont sensibilisé les individus
aux problématiques écologiques. Les mouvements altermondialistes ont développé
une solidarité internationale et favorisé un commerce plus juste.
2- Le
conflit comme résistance au changement social
A l’inverse, le conflit peut
être le signe d’une résistance au changement, peut exprimer la volonté de
maintenir les valeurs existantes (manifestation
contre la nouvelle région, contre le mariage pour tous, contre la réforme des
retraites) et montre une volonté de garder le système existant. La remise en
cause du système est néfaste aux yeux des manifestants. Ils luttent pour ralentir
ces changements.
è 2 grilles d’analyse peuvent être développées sur les
conflits :
-
La première montre
qu’ils peuvent perçus comme facteurs ou rupture de lien social
-
La deuxième les présente
soit comme des moteurs ou des freins au changement social
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